Covid-19 : La construction d’une pandémie comme « fait mondial total » - Université Paris-Saclay Accéder directement au contenu
Chapitre D'ouvrage Année : 2022

Covid-19 : La construction d’une pandémie comme « fait mondial total »

Résumé

La pandémie de Covid19 a été qualifiée de « fait mondial total ». C’est dans la presse que ce terme est apparu en mars dernier. Edgar Morin (TRUONG 2020), Etienne Klein (KLEIN 2020) et beaucoup d’autres l’ont employé pour décrire l’ampleur de la pandémie : elle touche toutes les dimensions de la vie de tous les êtres humains. Ce point de départ appelle une réflexion approfondie. Comment concevoir un « fait mondial total » ? Autrement dit, de quelles conceptions du monde et de la totalité ce concept est-il l’expression ? Et pourquoi cette épidémie appelle-t-elle à forger un concept nouveau ? Tout d’abord, il s’agit de replacer l’expression de « fait mondial total » dans son appartenance à l’anthropologie. Référence directe au concept maussien de « fait social total » (MAUSS 1923), il convient de discuter le déplacement de « social » à « mondial ». En quel sens faut-il comprendre l’expansion de l’un à l’autre ? Le « mondial » renvoie-t-il à l’ensemble des sociétés humaines ? Le « fait mondial total » sera confronté aux nombreux débats (WENDLING 2010) qui portent sur le « fait social total » chez Marcel Mauss. Il ne doit pas faire l’économie des définitions de « société » et de « totalité ». Ensuite, le « fait mondial total » doit être resitué dans son contexte médical d’émergence. Rappelons en effet, qu’en cela déjà, il diffère du concept maussien qui est né pour rendre compte du phénomène du don. Le « fait mondial total » entre en résonnance avec deux pans de la philosophie de la médecine. D’une part, les maladies chroniques et la démocratie sanitaire poussent à penser une approche holistique de la personne malade. Ainsi la notion de « totalité » est réfléchie à partir de la notion de personne humaine et il importe de positionner le « fait mondial total » face à cet autre éclairage de la totalité. D’autre part, les définitions de santé et maladie font débat en philosophie de la médecine. Engelhardt (ENGELHARDT 2012) affirme que santé et maladie sont deux concepts qui évoluent avec l’histoire humaine parce qu’ils reposent sur des jugements de valeur. Cette analyse renvoie directement au terme de pandémie. L’OMS « décrète » que nous vivons une pandémie, au sens où la définition de pandémie ne repose pas uniquement sur des critères biomédicaux mais bel et bien sur une appréciation humaine et collective. Citons le sénat : « L’état de pandémie est défini par l’OMS. Or la définition de ce terme n’est pas neutre » (DOOR et BLANDIN 2010). La question est alors : en quel sens jugeons-nous que cette épidémie est une pandémie ? Et dans quelle mesure les critères qui président au décret de « pandémie » fondent le concept de « fait mondial total » ? Enfin, j’examinerai une hypothèse : le « fait mondial total » émerge pour parler de la pandémie de 2020 parce qu’une épidémie survient au moment même où les êtres humains connaissent une crise de leur conscience du monde. En ce sens, le « fait mondial total » interroge notre humanité. Elle n’est plus en haut ou au-dessus des vivants et non-vivants, mais avec eux. Il faut repenser les liens entre humains et non humains (BENSAUDE- VINCENT 2020). Le « fait mondial total » émerge à l’occasion de la pandémie de 2020 parce que cette épidémie intervient dans une période de prise de conscience des effets de l’action humaine sur la planète et de la dépendance humaine face aux ressources. Notre rapport au monde fait écho à une analyse géologique de notre planète. Le concept d’anthropocène a lui aussi fait une entrée fracassante sur la scène médiatique durant la première vague de la Covid19 en France. L’enjeu est alors de questionner le monde comme un ensemble des liens entre humains et non humains, dans un lieu (la Terre) et dans le temps. Cette prise de conscience ouvre des enjeux scientifiques qu’il s’agira d’esquisser. Dans quelle mesure les débats autour du concept d’anthropocène (LARRÈRE 2015) interviennent dans celui de « fait mondial total » ? L’examen de l’expression « fait mondial total » s’appuiera sur une analyse qualitative de la veille documentaire réalisée dans le cadre de l’Observatoire National de la MSH-Paris-Saclay. Cette veille porte sur la parole des SHS dans cinq médias : Le Monde, Le Figaro, Libération, AOC, The Conversation, du 1er mars au 4 novembre 2020. Ce travail sera largement complété par une littérature philosophique et anthropologique.
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Dates et versions

hal-03991751 , version 1 (22-03-2023)

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Citer

Elsa Bansard. Covid-19 : La construction d’une pandémie comme « fait mondial total ». Les épidémies au prisme des SHS, Editions des archives contemporaines, pp.21-34, 2022, 9782813004659. ⟨10.17184/eac.5986⟩. ⟨hal-03991751⟩
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